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11/09/2008

Quelques années de moins que la lune

"Quelques années de moins que la Lune" de l'écrivain italo-suisse Germano Zullo, c'est d'abord un beau titre, qui sent bon la nostalgie et la poésie à fleur de peau. C'est ensuite un beau roman à "épisodes" sur l'enfance de l'auteur, écrit dans une langue sobre et truculente à la fois. Un vrai plaisir de lecture en perspective pour adolescents à partir de 12 ans et pour adultes restés jeunes.

Je vous donne en extrait le premier "épisode":

[ TARENTELLA DELL' EMIGRANTE

Nous sommes italiens.

Cela doit être important car Madame P., notre voisine du dessus, ne cesse de le répéter sur tous les tons : "Ah! voilà les Italiens... C'est le petit des Italiens... La femme de l'Italien... Le mari de l'Italienne..." 

Oui, nous sommes italiens. Notre village s'appellle Gioia Sannitica. Un véritable trou au pied de Monte Erbano, province de Caserta, à quelques kilomètres au nord de Napoli. Madame P. a aussi remarqué que les Italiens du dessous ne parlent pas italien, mais plutôt un genre de dialecte qui, d'après elle, ressemble à de l'arabe, sans doute du napolitain. En réalité, nous parlons le gioiese, puisque nous venons de Gioia. Si nous étions nés quelques kilomètres plus à l'est, à Faicchio, nous aurions parlé le faicchiano, et si nous étions nés quelques kilomètres plus au au sud, à Ruviano, nous aurions parlé le ruvianese. Une chose est sûre cependant pour Madame P. : nous parlons très mal le français.

Papa travaille chez M., une petite entreprise de ferronnerie d'art. Il lui a suffi de prouver qu'il savait souder pour obtenir l'emploi. Auparavant, Papa travaillait comme garçon de ferme, puis comme manoeuvre chez un important horticulteur de la région. Maman est arrivée en Suisse dix ans après Papa. Elle a fait des ménages, à droite, à gauche, chez des gens que je ne connais pas. Papa Maman s'occupent également de l'entretien de la résidence secondaire des N., une riche famille de la ville qui ne monte à la campagne que les jeudis et les week-ends. Nous habitons chez l'employeur de Papa. Un trois pièces juste au-dessus de la station-service BP à Jussy. J'adore l'odeur de l'essence.

Maman est enceinte. J'aimerais avoir un petit frère. Il porterait le nom de Salvatore. L'an dernier, Maman a fait une fausse-couche, c'étai aussi un petit frère. Je voulais qu'il s'appelle Angelo. D'aprèsMaman, c'est de la faute de la doctoresse si on a perdu l'enfant. Elle serait arrivée trop tard, et n'aurait fait que de favoriser le malheur, en forçant Maman à expulser le foetus dans la cuvette des toilettes. D'après Maman, le foetus possédait une belle chevelure de couleur noire.

Maman ne retournera plus chez la doctoresse. Nous continuerons de faire confiance au vieux médecin du village, le docteur A., bientôt centenaire, mais toujours en activité. La police vient de lui retirer son permis de conduire, car il confond systématiquement les fossés avec la chaussée. Mais sa main reste très sûre. Je manque de vitamines et tous les lundis le docteur A. me fait une piqûre de calcium dans les fesses. Il insiste à chaque fois beaucoup pour ausculter d'un coup toute la petite famille. Ses précieux services ne nous coûtent presque rien.

Mais la première chose dont je me souviens après être né, c'est la voix de la sage-femme qui dit bambino ; c'est le goût d'olive du lait de Maman ; c'est le contact des mains calleuses de Papa sur ma poitrine ; c'est l'odeur du printemps par la fenêtre ; c'est le rythme chevrotant d'une tarentelle ; c'est un compartiment de train enfumé ; c'est le vacarme d'une grande ville l'après-midi ; c'est les chiens errants qui prennent possession de la rue quand la nuit arrive ; c'est la douce lumière d'une bougie en forme de bouteille ; c'est le regard mystérieux de mon grand-père ; c'est la tristesse du Volturno ; c'est le vent qui appelle l'ombre des grands arbres ; c'est le froid d'une chaînette en or autour de mon cou ; c'est l'étrange forêt que je découvre en moi lorsqu'on me laisse seul. ]...

Germano Zullo, Quelques années de moins que la Lune, éditions La joie de Lire, 97 pages.

29/09/2007

Le retour de Tarzan, d'Edgar Rice Burroughs

Le retour de Tarzan, d'Edgar Rice Burroughs aux éditions "édition spéciale" (1970), fait suite au roman fondateur : Tarzan, seigneur de la jungle. 

Pour évoquer le mythe formidable qu'est Tarzan, j'ai recopié avec dévotion un passage de ce deuxième tome des aventures de Tarzan (qui en compte plus d'une douzaine). On y voit un Tarzan déprimé noyer son chagrin d'amour dans le retour à l'animalité. Superbe :

[...] " Il avait vu la femme qu'il désirait, sa femme, sa compagne, dans les bras d'un autre. Il lui restait une seule ligne de conduite à adopter suivant la loi de la jungle. Mais avant qu'il ne soit trop tard sa générosité avait apaisé sa passion et l'avait sauvé. Il se félicita de n'avoir pas succombé à ce premier mouvement.                                                 

Il lui répugnait de retourner chez les Waziris. Il ne souhaitait pas revoir un seul être humain. Pendant quelque temps il parcourerait la jungle, solitaire jusqu'à ce que sa peine se soit atténuée. Comme les bêtes il voulait souffrir en silence et seul.

Cette nuit-là il dormit à nouveau dans le cirque des singes et pendant plusieurs jours il partit chasser. Le troisième jour alors qu'il était étendu sur l'herbe moelleuse du cirque depuis quelque temps il entendit au loin un ton familier. C'était un groupe de grands singes qui traversaient la forêt. Pendant plusieurs minutes, il resta l'oreille tendue. Ils venaient vers lui.

Tarzan se releva paresseusement et s'étira. Il percevait distinctement chaque mouvement de la tribu qui se rapprochait. À présent il distinguait leur odeur.

Tandis qu'ils arrivaient dans l'amphithéâtre Tarzan disparut dans les branches de l'autre côté de l'arène. Puis il attendit de voir les nouveaux arrivants. Il n'attendit pas longtemps.

Une tête farouche apparut dans les branches. Les petits yeux cruels inspectèrent la clairière puis il y eut une conversation étouffée. Tarzan entendit les mots. Le premier disait aux autres que l'endroit était désert et qu'ils pouvaient pénétrer dans l'amphithéâtre.

Il sauta sur le sol et un à un une centaine d'anthropoïdes en firent autant. Il y avait les adultes et quelques jeunes. Quelques bébés s'agrippaient au cou velu de leur mère.

Tarzan reconnut plusieurs membres de la tribu. C'était celle à laquelle il avait appartenu enfant. Plus d'un adulte avait partagé ses jeux avec lui. Il se demanda s'ils le reconnaîtraient, leur mémoire était courte, et deux ans étaient une éternité pour eux.

Il écouta leur conversation et apprit qu'ils étaient venus pour choisir un nouveau roi. Leur chef était mort en tombant d'un grand arbre. Tarzan marcha jusqu'à l'extrémité de la branche pour ne rien perdre du spectacle. Une femelle l'aperçut tout d'abord. De son cri guttural, elle attira l'attention des autres. Plusieurs énormes mâles se levèrent pour mieux voir l'intrus. En montrant leurs crocs et en poussant des grognements terribles ils s'avancèrent vers lui.

"Karnath, je suis Tarzan, roi des singes" dit l'homme-singe dans le langage de la tribu. "Te souviens-tu de moi. Ensemble nous avons tourmenté Numa quand nous étions petits en lui jetant des branches et des noix du haut des arbres."

La bête s'arrêta étonnée et comprenant à moitié.

"Et toi Magor", continua Tarzan, s'adressant à un autre, "te rappelles-tu ton dernier roi, celui qui a tué le redoutable Kerchak ? regarde-moi ! Ne suis-je pas Tarzan, le chasseur formidable, le lutteur invincible que tu as connu pendant longtemps.

Les singes se rapprochaient maintenant plus curieux que menaçants ; ils parlèrent entre eux pendant un moment.

"Que cherches-tu chez nous ?" demanda Karnath.

"La paix" répondit l'homme-singe.

À nouveau, les singes se concertèrent. Enfin Karnath parla.

"Viens en paix, Tarzan", dit-il.

Tarzan glissa lestement et tomba au milieu de la foule féroce et hideuse ; il avait franchi la dernière étape. À nouveau il était un animal sauvage."

 

18/05/2007

"Le maître de Hongrie" de Marcel Jullian (extrait)

[...] Clotilde est autre que toutes, puisque mienne. Plus je m'éloigne d'elle, vers ce soleil droit devant nous, plus je la sais présente. Des mots me viennent que, oncques, ne lui ai dits. Elle paraît si unie, si lisse qu'on la cuiderait sans nulle crainte ni doute. Des deux quand le chagrin me prend, elle est pourtant la plus ferme et la plus douce. Elle sait, de longtemps, que les nues d'orage finissent par passer. Elle est fière, et résignée à l'être. La force est en elle. Elle se sait de race, le veut, s'en réjouit, mieux, s'en satisfait. Fille d'un charpentier, elle pourrait l'être d'un duc. Donc, elle l'est. Devant elle, même à présent que j'ai couru les chemins et vilainement morfondu de mes mains, riche des discours du joachiniste et des conseils de Guillaume, ayant connu force pleurs et dépit, sachant sur notre Sire Philippe mille vérités qu'elle n'imaginerait point, je suis manant et elle est reine. D'où tient-elle sa maistrie ? Pourtant, je puis suivre un fol, un saint, un trufeur ou une étoile. Elle aussi peut-être, mais sans jamais tout à fait y croire. Est-elle, déjà et pour longtemps, dédiée ? Quelle mixture a t-elle bue ? À Orbec, souventes fois, j'ai voulu l'interroger et j'y renonçai. Elle est née derrière l'aubépine et je sais tout d'elle. Sauf elle. Parfois, je me convaincs qu'elle est simple et que c'est moi, seul, qui la fais princesse, vouloir, hauteur. Et si elle avait fêlure que je n'aurais point vue ? Si elle désirait geste que je n'aie pas fait, parole que je n'aie pas dite ? Ah ! Clotilde ! Pourquoi faut-il que je ne te sache point ou que tu veilles tant à n'être sue de personne ? [...]

Extrait : "Le maître de Hongrie" de Marcel Jullian (Prix Ulysse du roman populaire)

30/04/2007

L'Oeuvre au noir, de Marguerite Yourcenar

[...] La nuit, dans leur chambre sans feu, dédaignant les invites de l'édredon et de l'oreiller, Martha et Bénédicte assises côte à côte relisaient la Bible à voix basse. Leurs joues appuyées l'une à l'autre semblaient n'être que la surface par où se touchaient deux âmes. Pour tourner le feuillet, Martha attendait Bénédicte à la fin de la page et, si par hasard la petite s'assoupissait dans cette sainte lecture, lui tirait doucement les cheveux.[...]

extrait de L'Oeuvre au noir, de Marguerite Yourcenar, éditions Gallimard, 1968.

Un livre sur l'intolérance (déjà)et d'une érudition impressionnante.