Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/04/2009

Les gestes de la ferme (Imagier photo)

LesGestesDeLaFerme.png

Un imagier photo pour jeunes enfants sur les travaux de la ferme et les gestes éternels propres à cet univers. Nicolette HUMBERT, photographe humaniste, a créé un livre original entre documentaire et fiction poétique.

Le livre sur le site de la Fnac : 

http://livre.fnac.com/a2529466/Nicolette-Humbert-Les-gest...

Le blog de l'auteur :

http://nicolettehumbert.hautetfort.com/

 

(Les gestes de la ferme, 2009, éditions La Joie de Lire.)

11/09/2008

Quelques années de moins que la lune

"Quelques années de moins que la Lune" de l'écrivain italo-suisse Germano Zullo, c'est d'abord un beau titre, qui sent bon la nostalgie et la poésie à fleur de peau. C'est ensuite un beau roman à "épisodes" sur l'enfance de l'auteur, écrit dans une langue sobre et truculente à la fois. Un vrai plaisir de lecture en perspective pour adolescents à partir de 12 ans et pour adultes restés jeunes.

Je vous donne en extrait le premier "épisode":

[ TARENTELLA DELL' EMIGRANTE

Nous sommes italiens.

Cela doit être important car Madame P., notre voisine du dessus, ne cesse de le répéter sur tous les tons : "Ah! voilà les Italiens... C'est le petit des Italiens... La femme de l'Italien... Le mari de l'Italienne..." 

Oui, nous sommes italiens. Notre village s'appellle Gioia Sannitica. Un véritable trou au pied de Monte Erbano, province de Caserta, à quelques kilomètres au nord de Napoli. Madame P. a aussi remarqué que les Italiens du dessous ne parlent pas italien, mais plutôt un genre de dialecte qui, d'après elle, ressemble à de l'arabe, sans doute du napolitain. En réalité, nous parlons le gioiese, puisque nous venons de Gioia. Si nous étions nés quelques kilomètres plus à l'est, à Faicchio, nous aurions parlé le faicchiano, et si nous étions nés quelques kilomètres plus au au sud, à Ruviano, nous aurions parlé le ruvianese. Une chose est sûre cependant pour Madame P. : nous parlons très mal le français.

Papa travaille chez M., une petite entreprise de ferronnerie d'art. Il lui a suffi de prouver qu'il savait souder pour obtenir l'emploi. Auparavant, Papa travaillait comme garçon de ferme, puis comme manoeuvre chez un important horticulteur de la région. Maman est arrivée en Suisse dix ans après Papa. Elle a fait des ménages, à droite, à gauche, chez des gens que je ne connais pas. Papa Maman s'occupent également de l'entretien de la résidence secondaire des N., une riche famille de la ville qui ne monte à la campagne que les jeudis et les week-ends. Nous habitons chez l'employeur de Papa. Un trois pièces juste au-dessus de la station-service BP à Jussy. J'adore l'odeur de l'essence.

Maman est enceinte. J'aimerais avoir un petit frère. Il porterait le nom de Salvatore. L'an dernier, Maman a fait une fausse-couche, c'étai aussi un petit frère. Je voulais qu'il s'appelle Angelo. D'aprèsMaman, c'est de la faute de la doctoresse si on a perdu l'enfant. Elle serait arrivée trop tard, et n'aurait fait que de favoriser le malheur, en forçant Maman à expulser le foetus dans la cuvette des toilettes. D'après Maman, le foetus possédait une belle chevelure de couleur noire.

Maman ne retournera plus chez la doctoresse. Nous continuerons de faire confiance au vieux médecin du village, le docteur A., bientôt centenaire, mais toujours en activité. La police vient de lui retirer son permis de conduire, car il confond systématiquement les fossés avec la chaussée. Mais sa main reste très sûre. Je manque de vitamines et tous les lundis le docteur A. me fait une piqûre de calcium dans les fesses. Il insiste à chaque fois beaucoup pour ausculter d'un coup toute la petite famille. Ses précieux services ne nous coûtent presque rien.

Mais la première chose dont je me souviens après être né, c'est la voix de la sage-femme qui dit bambino ; c'est le goût d'olive du lait de Maman ; c'est le contact des mains calleuses de Papa sur ma poitrine ; c'est l'odeur du printemps par la fenêtre ; c'est le rythme chevrotant d'une tarentelle ; c'est un compartiment de train enfumé ; c'est le vacarme d'une grande ville l'après-midi ; c'est les chiens errants qui prennent possession de la rue quand la nuit arrive ; c'est la douce lumière d'une bougie en forme de bouteille ; c'est le regard mystérieux de mon grand-père ; c'est la tristesse du Volturno ; c'est le vent qui appelle l'ombre des grands arbres ; c'est le froid d'une chaînette en or autour de mon cou ; c'est l'étrange forêt que je découvre en moi lorsqu'on me laisse seul. ]...

Germano Zullo, Quelques années de moins que la Lune, éditions La joie de Lire, 97 pages.