Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/08/2008

Le secret du vent

Encore un conte sélectionné à Fontenoy-la-Joute. Cette fois-là c'était les nouveaux Charles Perrault.

 

Le secret du vent 

(conte pour petits et grands)

 

            Il chuta si soudainement que ses cheveux se dressèrent sur sa tête — sous le seul effet de l’accélération verticale, bien entendu, car il était hors de question qu’il pût avoir jamais peur. Par chance, il tomba dans un arbre où son vieux coucou fracassa quelques branches avant de se disloquer jusqu’au dernier boulon. Jim — tel était le surnom de cet aventurier — se retrouva quelques instants étourdi, accroché par la ceinture à une branche, où il fut loisible de le détailler. Il était chaussé de bottes en cuir d’où émergeait, en bouffant un peu, un pantalon de toile beige, serré à la taille par la ceinture dont nous avons déjà parlé, ceinture de cuir épais qui avait laissé échapper les pans froissés d’une chemise crème  ; enfin, il portait de grosses lunettes d’aviateur qu’il ne quittait jamais parce qu’elles lui donnaient un genre.

            Quand il reprit ses esprits, la première chose qu’il vit fut l’hélice de son avion qui tournait encore, fichée au bout d’une branche, juste devant son nez. Il commençait à s’en désoler quand une chose très curieuse vint captiver toute son attention : les feuilles de l’arbre qui l’avait recueilli étaient rousses... Comme il avait les mains libres, il en prit une et constata qu’elle était sèche et friable comme une feuille morte. On était au printemps et l’arbre aurait dû porter de tendres feuilles vertes. Cela étant, il n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps à ce mystère car la branche qui le soutenait cassa et l’envoya rouler dans l’herbe, où il se retrouva assis, en face d’une chose pour le moins bizarre : des oiseaux, pareils à ceux qu’on entend habituellement piailler dans les branchages, s’enfuyaient sur l’herbe rase de la colline en sautillant ridiculement. Il les poursuivit à quatre pattes, en attrapa un tout tremblant et qui lui parut avoir des ailes bien développées. Il l’envoya en l’air... L’oiseau battit frénétiquement des ailes, ce qui ne l’empêcha pas de retomber dans l’herbe comme une pierre. Furieux d’avoir été pris et malmené, il se mit à piailler après notre ami. Enfin, ayant dit tout ce qu’il pensait, il pivota sur ses petites pattes et partit en sautillant. Jim le regarda s’éloigner, de plus en plus sceptique.                                                                

            Il y avait un village au pied de la colline, et il décida d’aller s’y renseigner sur tous ces mystères. En chemin, il croisa un corbeau qui marchait les ailes dans le dos, en balançant son buste comme un homme soucieux en train d’arpenter ses idées. Il quitta des yeux ce singulier personnage pour voir arriver à sa rencontre toute une troupe de villageois surexcités. Le meneur, un petit homme rond comme une barrique, parla le premier sans lui laisser le temps de la réplique.

            — Rien de cassé ? On a vu arriver l’avion mais il était trop tard pour vous prévenir. Quelle chute ! mon pauvre ami. Si l’on avait su... Mais comment savoir ? Il ne vient jamais personne dans nos contrées. À part, bien sûr, quand il vient quelqu’un. Je me présente : Monsieur le Maire, élu à la majorité pour ses compétences, mais aujourd’hui, tellement impuissant face à la situation. Pourtant...

            — Mais, enfin, que se passe-t-il ici ? coupa Jim.

            — Mais, monsieur, le plus grand des malheurs , et vous voudrez bien parler plus fort car l’air répond mal.

            — Hein ?

            — Oui, monsieur, nous n’avons plus de vent. L’air ambiant est devenu lâche et mou. Il se dérobe, s’alanguit, n’a plus de force.

    Il mima un long soupir.

            — Nous sommes désespérés.     

            Jim mit les mains sur ses hanches en considérant les gens qui entouraient le maire. Ils acquiesçaient tous de la tête avec des mines pitoyables.

            — Je m’appelle Jim, je suis un aventurier et je veux bien vous aider. Pour quelle raison le vent est-il tombé ?

            — En tant que Maire...

            — Allez au fait.

            — Nous n’en savons rien.

            — Quand est-ce arrivé ?

            — L’année dernière, au début de l’automne. Vous avez dû vous apercevoir que les feuilles mortes sont restées accrochées aux arbres.

            — Oui, je l’ai constaté, mais, finalement, à part cette fâcheuse impression d’automne,  quel autre désagrément cela a-t-il entraîné ?

            — Mais, Monsieur Jim, vous n’imaginez pas les conséquences que cela peut avoir ?

            — Les oiseaux ont l’air les plus embêtés.

            — Vous ne vous rendez pas compte. Levez la tête, regardez dans le ciel, que voyez-vous ?

            — Un gros nuage blanc magnifique.

            — Oui, oui... mais il cache le soleil... depuis six mois !

            — C’est fâcheux.

            — C’est catastrophique, vous voulez dire ! Les récoltes vont être compromises ! Et ce n’est pas tout. Le moulin à vent est inutilisable ; le linge met des mois à sécher ; les enfants n’arrivent plus à faire décoller leurs cerfs-volants ; aux anniversaires, les gens s’époumonent pour souffler les bougies... et j’en passe.

            — Il a dû se passer quelque chose, avez-vous des soupçons  ?

            — Oui, cela est arrivé après le passage du colporteur qui vient de la ville une fois par an. Nous le lyncherons à coup sûr s’il ose revenir, ce maudit !

            — Qu’a-t-il apporté de la ville ?

            — Une multitude d’objets que nous avons brûlé pour conjurer le mauvais sort ; mais rien à faire, la malédiction était dans ses mots. Le vent de par chez nous a du caractère, mais il est très influençable. Ce marchand raconteur de boniments lui aura fait tourner la tête. Maintenant, comment savoir ? Comment réparer ?

            — Je vais aller lui parler, dit Jim. Où est-il ce vent si sensible à la parole des hommes ?

            — Il s’est retiré au sommet de cette vieille tour que vous voyez là-bas. Mais n’y allez pas, il serait capable de vous basculer dans le vide.

            — Il l’a déjà fait et je m’en suis sorti. D’ailleurs, à ce propos, j’ai deux mots à lui dire.

            Et Jim partit d’un pas décidé vers la tour, ne pouvant pourtant s’empêcher d’entendre dans son dos des propos peu rassurants.

            — C’est un fou !

            — Il va à la mort !

            — Monsieur le Maire, accompagnez-le donc !

            — Euh... c’est son idée, après tout.

            — Lâche !

            — Qui a dit ça ? Qui ?

            — Regardez ! L’étranger est arrivé au pied de la tour.

            Au même moment, Jim disparut par une porte et, bientôt, on le vit apparaître au sommet de la tour crénelée où, visiblement, il n’y avait personne d’autre. Il y était arrivé par un escalier de bois en colimaçon qui n’attendait qu’une occasion pour s’écrouler. Avant d’émerger à l’air libre, il avait dû soulever une trappe en bois, si lourde qu’elle lui parût de plomb, comme si quelqu’un eut pesé dessus. Le vent était là qui fouettait les vêtements de Jim et tirait ses cheveux en arrière, les faisant ressembler à un oriflamme. L’air sifflait dans ses oreilles et l’assourdissait, et des larmes lui seraient venues aux yeux s’il n’avait eu des lunettes hermétiques.

            — Holà ! Vent !... Bourrasque ! Tempête ! Quel que soit ton nom qui change au gré de tes humeurs, ne mens pas : c’est par contrainte que tu t’obliges à rester dans cette retraite, toi le plus libre des éléments.

            Le vent resta sourd aux paroles de Jim et redoubla de fureur. Alors, notre intrépide ami essaya autre chose.

            — Je sens que tu souffres. Confie-moi ta peine. Je te donne ma parole, personne n’en saura rien. Nous nous connaissons bien tous les deux. Je suis l’aventurier, tu es le souffle de l’aventure. C’est toi, il y a bien longtemps, qui, m’apportant les effluves de mondes inconnus, fit de moi ce que je suis. Tu peux avoir confiance et je puis t’aider ...

            À ces mots, le vent, changeant d’idée, s’engouffra dans une vieille armure, qu’il anima de sa force et fit se redresser. Il parla alors avec toute la naïveté et la simplicité de son coeur d’une voix métallique et plaintive :

            — La fille du meunier, aux cheveux d’or, si légers, si fins, si longs et conciliants quand ils sont dénoués, d’elle je suis amoureux en secret et, quand je peux jouer avec ses cheveux et les caresser à ma guise, je suis heureux. Mais le colporteur a apporté avec les nouvelles de la ville celle qui fait mon malheur. La mode aurait, dit-on, changée et il ne convient plus aux filles d’avoir les cheveux libres mais, au contraire, tressés si savamment que cela forme comme une carapace pour mes doigts si légers. Alors, j’ai l’impression qu’elle ne m’aime plus, qu’elle se refuse.

            — Mais, sais-tu au moins si elle t’a jamais aimé ? lui demanda Jim, sans prendre garde à la cruauté de sa question.

            — Q’importe ce souci d’humain si je peux rêver qu’elle m’aime. L’amour n’est-il pas un rêve ?

            — J’avoue que... enfin, personnellement... C’est une question ? demanda Jim, embarrassé.

            — Non, c’est une vérité, dit le vent en penchant vers le sol le heaume qui lui servait de tête. Mais le rêve a besoin de ces petits signes librement interprétables qu’on appelle des illusions. Et là, vois-tu, mon ami, je ne me fais plus d’illusions. Le vent est tombé et il n’est pas prêt de se relever. C’est cela aussi l’amour.

            — Toi, pensa Jim, qui ne connaissait pas le renoncement, tu ne t’en sortiras pas avec des jeux de mots. Ma foi, dit-il tout haut, tout ceci est honorable mais on croirait la morale d’un conte fort triste, et je n’aime pas cela. Je vais arranger la chose. Mon vieux, ça ne peut pas continuer comme ça. Ça n’est pas raisonnable de précipiter au sol tout ce qui vole. Ne souffle pas ! c’est vrai ce que je dis, ou plutôt non, prépare toi à souffler... mais à bon escient. 

           

            Quand Jim rejoignit le petit groupe, qui bruissait de questions, il avisa une belle jeune fille blonde qu’il identifia aussitôt.

            — Que s’est-il passé ? dirent les uns.

            — Qu’a-t-il ? dirent les autres.

            — Est-il bête ce vent pour jouer ainsi les sensibles ? dit la jeune fille aux cheveux couleur des blés.

            — Non, mademoiselle, et vous saurez qu’un jour ou l’autre, on est tous sensible à quelque chose qui en vaut la peine. Pour l’instant, vous-même, vous n’êtes sensible qu’à la mode, si j’en crois le soin avec lequel vos cheveux imitent les entrelacs qui furent en vigueur il y a quelque temps...

            — Que dites-vous là ? La mode aurait-elle changé ? s’étonna la jeune fille.

            — Comment ! vous ne le saviez pas ? fit Jim avec un air de préciosité. Mais mademoiselle, la mode est au cheveux libres...

            — Mon Dieu ! s’exclama la jeune fille, en portant les mains au-dessus de sa tête.

            Elle retira quelques épingles habilement dissimulées et passa ses doigts fins dans ses cheveux. À peine les eut-elle dénoué, qu’une saute de vent joyeuse s’en saisit et amena le rire sur ses lèvres. Le soleil, doucement démasqué, apparut dans toute sa splendeur ; les oiseaux, portés par un air revivifié, se précipitèrent dans le ciel ; la joie revint dans la petite vallée et les villageois jetèrent leurs chapeaux très haut en criant des “hourras  !”.

            Jim en profita pour s’esquiver car les aventuriers n’aiment pas les adieux. Sur le chemin, tandis qu’une troupe d’oiseaux reconnaissants voletait autour de lui,  il se mit à réfléchir sur ce sentiment qu’on appelle l’amour, sur la noblesse du vent, et sur l’étrange pouvoir des jeunes filles.

 

FIN

Les commentaires sont fermés.